Glucose toujours, le média qui en dit long sur le diabète

L'Anniversaire

Dans cette chronique initialement publiée dans Le Diabète Enchaîné #10, Nolwenn Pamart s'interroge si elle doit célébrer l'anniversaire du diagnostic de son diabète.

L'Anniversaire
Le Diaversaire idéal selon Nolwenn Pamart
  • Autrefois, je trouvais que j’étais la plus chanceuse des petites filles, parce que j’avais la meilleure date d’anniversaire qu’on puisse imaginer. Assez près de Noël pour que les grands magasins aient sorti leurs grands rayons décorés, scintillant de toutes leurs guirlandes, mais pas trop près non plus, pour ne pas se faire manger par les fêtes de fin d’année et garder deux cadeaux plutôt qu’un. Quelques mois après la rentrée, juste assez pour rencontrer assez de personnes à inviter, mais pas assez loin pour que les premières brouilles aient redessiné les lignes de sociabilité. C’était parfait. Mon petit frère, lui, n’a pas eu ce privilège. Il est né à l’aube de l’été, alors que les cours sont finis, et qu’une partie des enfants a disparu dans la nature, si loin qu’on ne sait même pas s’ils pourront revenir l’année prochaine. Dans les rayonnages des magasins, des ballons aux couleurs vives, quelques jouets de plage, un sac de billes quand on avait de la chance. Tandis que le monde entier du jouet s’offrait à moi, il fallait se contenter des rayons du commun ou de la vente sur catalogue pour lui offrir quelque chose. Quelle idée, de naître au début de l’été !

     

    Longtemps, l’anniversaire, ce n’était que ça pour moi. Ce n’est que très récemment que j’ai appris qu’on pouvait fêter son Diaversaire. Ce doit être un truc de jeune personne dynamique, qui ne s’en laisse pas conter par les soignants, et qui a déconstruit tout l’imbroglio systémique qui s’est emmêlé autour de la maladie. Quand j’ai appris pour la première fois l’existence de ce genre d’événements, je me suis dit, aussitôt : non, ce n’est pas pour toi. J’ai beau ne pas être si vieille que ça, mon diabète, lui, c’est presque un boomer. Il a connu les glucomètres gros comme des appareils à mesurer les radiations, et devant lesquels il faut un litre de sang, trois génuflexions et une prière au diable pour obtenir un résultat. Il a connu les seringues et les mélanges maison, les repas à heure fixe et les sucres lents. Il a connu les mensonges des soignants qui, ne pouvant tenir le regard d’une enfant malade, lui promettaient qu’un jour, avec les progrès de la science – elle va si vite, la science – on pourrait tout guérir. Qu’il fallait qu’elle soit bien sage et bien patiente, pendant dix – allez, quinze ans ! Le diabète, hochait la tête : il était toujours sage devant les docteurs, jouait les charmeurs inoffensifs devant les infirmières. Ce n’est qu’une fois rentrés à la maison qu’il révélait sa vraie nature. Il retournait les meubles et passait la journée à fumer dans la pièce sans ouvrir les fenêtres, au point de m’en brouiller la vue et l’esprit. Tout ce temps, il a été cet intrus qu’il fallait bien garder sous surveillance à la maison, mais que j’espérais
    un jour mettre dehors d’un bon coup de pied aux fesses. Pas vraiment le genre d’invité dont on fête les anniversaires.

     

    On m’avait annoncé dix ans. L’année dernière, je les ai dépassés pour la troisième fois, et si la science va plutôt vite lorsqu’on cesse
    de compter à échelle humaine, elle ne court plus à la vitesse dont on rêvait dans les années 1990. J’ai compris que l’invité indésirable, discret parfois, destructeur dès que je détourne les yeux, d’une extraordinaire complaisance, aux moments où je m’y attends le moins, il fait désormais partie des murs. Et qu’il est temps d’apprendre à lui dire bonjour. C’est peut-être le moment idéal pour fêter son premier Diaversaire. Dans ma tête, je me représente le pique-nique de livre d’image, avec une nappe à carreaux rouges et des ombrelles, une garden-party comme dans les romans d’Agatha Christie, ou même une « grosse soirée » avec les
    enceintes qui tremblent sous les basses et des bouteilles de vins alignées sur le bureau. Pour mon anniversaire, j’aime faire de grands repas avec verres à pied, plats mijotés, bœuf en croûte, gâteau préféré. Si je ne rêve plus devant les rayons de jouets, la proximité de Noël met à ma disposition des mets de fête, des décorations de table, tout ce qu’il faut pour faire un dîner élégant et compliqué. Pour cet anniversaire-là, le premier d’entre tous, j’ai l’impression qu’il faut ne pas avoir peur du grandiose. J’ai dans ma tête des ébauches de liste d’invités, des plans de table, je réfléchis à la robe forcément trop quelque chose que j’aurais choisie pour l’occasion.

     

    Et puis je me souviens. Mon diabète, il a eu la même idée bizarre que mon petit frère : il est arrivé en plein milieu de l’été, à l’heure des pâtés de sable et des amis dispersés aux quatre vents. On ne peut pas faire confiance aux invités indiscrets pour le choix des dates. Mais bon, je ne vais pas me plaindre : je ne pouvais quand même pas avoir de la chance par deux fois.

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