Production d’insuline au Brésil : où en sommes-nous et où allons-nous
À l’occasion de la Journée mondiale du diabète, un collectif d’activistes brésiliennes du diabète interpellent : la reprise de la production locale de l’hormone dans le pays est une étape majeure, mais pas un point d’arrivée. En plus de répondre à la demande du Brésil, l’industrie publique doit devenir un fournisseur à des prix justes pour toute l’Amérique latine.
Cet article, écrit par un groupe d’activistes brésiliennes dont fait partie notre rédactrice en chef, a été publié à l’origine en portugais sur le média brésilien Outra Saúde le 14 novembre 2025, puis en anglais sur le site de T1International. Glucose toujours le traduit en français pour nos lecteurs.
Cent ans après la découverte de l’insuline, le médicament qui a sauvé des millions de vies reste un privilège. Une personne sur deux atteinte de diabète et dépendante de ce traitement pour survivre n’y a pas un accès garanti.
La concentration de la production d’insuline entre trois entreprises pharmaceutiques, combinée à des politiques de santé qui ne priorisent pas un approvisionnement durable pour les systèmes de santé, oblige de nombreux patients à payer des coûts exorbitants et, dans les pires cas, à rationner leur insuline pour faire durer le traitement.
De plus, l’accès à l’insuline ne se résume pas au médicament lui-même. Il implique de disposer du bon dispositif d’injection, comme les stylos, plus précis et plus confortables, ou la pompe, et d’avoir accès à une éducation thérapeutique garantissant un usage sûr et efficace.
Selon la nouvelle Enquête sur les dépenses personnelles des patients menée par T1International, les patients dépensent en moyenne 15 % de leur revenu familial en insuline et en matériel de mesure de la glycémie. Dans les pays à revenu faible et intermédiaire, ce pourcentage atteint 62 %. En Amérique latine, les chiffres sont alarmants : la dépense moyenne représente 36 % du revenu moyen ; au Guatemala, elle dépasse 100 %.
Ces coûts élevés rendent le rationnement de l’insuline et du matériel de glycémie une pratique courante. Entre 2018 et 2024, le nombre de personnes contraintes de rationner a doublé. Les statistiques internationales suggèrent que l’insuline est “largement accessible”, mais la réalité des patients montre tout le contraire.
Au Brésil, le Système Unique de Santé (SUS) [système de santé public qui assure un accès universel et gratuit aux soins de santé pour tous les citoyens brésiliens, ndlr] est un outil fondamental pour garantir l’accès à l’insuline. Cependant, son approvisionnement fait face à plusieurs obstacles : limitation de l’accès aux insulines analogues ; lourdeurs bureaucratiques ; difficultés à se procurer l’insuline sur le marché privé ; réduction de l’offre par les industriels et désengagement politique. Ces difficultés révèlent la fragilité structurelle de l’approvisionnement et la vulnérabilité qu’entraîne la dépendance quasi exclusive vis-à-vis des multinationales pour garantir un produit vital.Production publique d’insuline pour tous
Le Brésil présente une caractéristique que l’on retrouve dans très peu de pays : l’existence de laboratoires publics destinés à produire des médicaments pour le système de santé public. Ces dernières années, l’industrie biotechnologique brésilienne a repris sa croissance et, en 2025, le pays relancera la production publique d’insuline, une étape stratégique pour faire face aux ruptures d’approvisionnement, réduire la dépendance au secteur privé et garantir un approvisionnement durable pour les systèmes de santé. L'initiative fait partie de la nouvelle Stratégie Nationale pour le Développement du Complexe Économique-Industrie de la Santé (CEIS), qui s'inscrit dans le programme “Nouvelle Industrie Brésilienne” (NIB), un ensemble de mesures visant à stimuler l'industrie nationale d'ici 2033.
Dans les années 1980, Biobrás Bioquímica do Brasil, en partenariat avec Eli Lilly, produisait la majeure partie de l’insuline utilisée dans le pays. Mais en 2001, Biobrás a été vendue à Novo Nordisk, et depuis, l’insuline brésilienne est importée.
Par la suite, Farmanguinhos/Fiocruz et Bahiafarma ont repris la production et la distribution, tout en important encore le principe actif de l’entreprise ukrainienne Indar S.A., via des Partenariats de Développement Productif (PDP), des accords visant à accroître l’accès, réduire les coûts et renforcer l’autonomie technologique du SUS.
En 2025, le Ministère de la Santé a annoncé le premier lot d’insuline 100 % nationale. Cette initiative résulte d’un PDP entre le laboratoire indien Wockhardt, le laboratoire public Fundação Ezequiel Dias (Funed) et l’industrie brésilienne Biomm. Les insulines NPH et régulière produites seront distribuées gratuitement par le SUS, dans le cadre du Composant de Base de l’Assistance Pharmaceutique.Si le XXᵉ siècle a été celui de la découverte de l’insuline, le défi du XXIᵉ siècle est de garantir que personne n’ait besoin de la rationner pour survivre.
La même année, un autre partenariat entre Bio-Manguinhos/Fiocruz, Biomm et le laboratoire Gan & Lee a été approuvé pour la fabrication nationale de l’insuline glargine, avec production du principe actif pharmaceutique (IPA) dans l’usine de la Fiocruz au Ceará. Ces initiatives marquent une reprise de la capacité productive nationale et une tentative de réduire la dépendance extérieure qui a caractérisé les deux dernières décennies, garantissant la souveraineté sanitaire dans la production d'insuline.
Malgré les progrès, les défis restent importants. Il est nécessaire d’accroître les investissements dans la production publique, d’internaliser la fabrication des principes actifs pharmaceutiques et de garantir des ressources durables pour l’innovation et la distribution de la production.
La reprise de la production nationale constitue un jalon important, mais elle n’est pas un point d’arrivée. Il est nécessaire que la production nationale réponde à l’ensemble des besoins du SUS, inclut tous les types d’insuline et concrétise le principe constitutionnel de coopération avec les autres pays d’Amérique latine.
Construire une production à l’échelle régionale exigera davantage : accroître la capacité productive nationale, renforcer le dialogue réglementaire et les partenariats avec les pays et organisations régionales. Cette expansion doit avoir pour objectif clair de réduire la dépendance extérieure et de créer un réseau latino-américain de production et d’approvisionnement en produits de santé essentiels.
Le Brésil peut, et doit, devenir un fournisseur régional d’insuline à prix juste, contribuant à la sécurité sanitaire de l’Amérique latine.
Si le XXᵉ siècle a été celui de la découverte de l’insuline, le défi du XXIᵉ siècle est de garantir que personne n’ait besoin de la rationner pour survivre.
Le Brésil a désormais l’opportunité et la responsabilité d’ouvrir cette voie.
Autrices :
Nathália Rodrigues Alvarez, Conseillère technique du Conseil National de la Santé, Ministère de la Santé, Brasília (Distrito Federal), Brésil.
Débora Aligieri, Conseillère du Mouvement Influencers Diabetes Brasil, membre du Département de Santé Publique, Épidémiologie, Économie de la Santé et Plaidoyer de la Société Brésilienne de Diabète, auteure du blog Diabetes e Democracia.
Sara Helena Gaspar, Consultante en Plaidoyer, T1International.
Nina Tousch, rédactrice en chef de Glucose toujours et responsable de la communication de l'ONG Santé Diabète, France.
Renata Borges Oliveira, militante pour les droits des personnes vivant avec le diabète.