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Sourd et diabétique : quel accès aux soins ?

Le mois de novembre est celui de la sensibilisation au diabète. Il est marqué par un temps fort : le 14 novembre, la fameuse Journée Mondiale du Diabète. Chaque année, un thème est mis à l’honneur par la Fédération Internationale du Diabète, et en 2022, il s’agit de l’accès aux soins. Si ce thème recouvre évidemment des champs très larges, qui vont de la difficulté à obtenir les traitements pour les pays en développement au coût exorbitant de l’insuline aux États-Unis notamment, j’aimerais ici évoquer l’accessibilité. Ou plutôt, le manque d’accessibilité pour les personnes sourdes vivant avec un diabète. Si ce thème est bien trop peu abordé, les sourds sont pourtant tout aussi largement touchés par le diabète, et rencontrent bien des obstacles dans son suivi et sa gestion. Focus sur une défaillance laissée sous silence.

Sourd et diabétique : quel accès aux soins ?
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  • Cet article est disponible en Langue des Signes Française.

  • La langue, une barrière à la communication.

    Difficile pour la communauté entendante de réaliser les innombrables difficultés que peuvent rencontrer les personnes sourdes dans leur accès aux soins. Le constat est pourtant sans appel, il existe tout d’abord très peu d’informations accessibles en Langue des Signes Française (LSF) en matière de santé. 

     

    Difficile encore de se représenter le manque de connaissances du corps et de la physiologie qui peut exister. Comme le précise le Dr. Marine Halbron, médecin diabétologue dans le service du Pr. Hartemann à la Pitié-Salpêtrière à Paris : “Nous, les entendants, nous baignons dans une société de la communication. On allume la télévision, on écoute la radio… on a entendu un milliard d’informations de vulgarisation médicale, à laquelle les patients sourds n’ont pas accès.” 

     

    À cela viennent s'ajouter les difficultés de lecture et d’écriture du français pour de nombreuses personnes sourdes. Si cela peut sembler étonnant de prime abord, il est important de rappeler que le français n’est pas leur langue maternelle, et que de nombreux sourds rencontrent des difficultés à avoir accès à l’école. Les lacunes dans la maîtrise du français écrit s’avèrent être un frein redoutable à la bonne communication avec l’équipe soignante, et peuvent conduire à des décrochages de la part des patients dans leur traitement et leur suivi médical.

     

  • Les interprètes, une denrée rare.

    Il existe également peu de structures hospitalières proposant des interprètes et intermédiateurs pour permettre une compréhension lors des consultations. On en dénombre une petite vingtaine au total dans toute la France. Si ces pôles ont le mérite d’exister, force est de constater qu’ils sont trop peu nombreux et qu'il y a de surcroît une concentration géographique aux grandes métropoles de ces services de soins, ce qui limite leur accès. 

     

    Faire appel de manière individuelle à un interprète coûte également très cher et il est impossible pour les patients de prendre en charge ce poids financier, surtout vu la fréquence à laquelle les personnes vivant avec un diabète doivent consulter les différents médecins et spécialistes.

     

    C’est difficile de trouver un interprète. Dans mon hôpital, il n’y en a pas toujours pour des raisons budgétaires, ou alors c’est à nous d’en trouver un et de le payer. Mais ça coûte beaucoup trop cher et je ne peux pas me permettre d’en avoir un.

     

    Comme le précise Estelle, jeune femme vivant avec un diabète de type 1 de 20 ans et diagnostiquée à l’âge de 5 ans, "c’est difficile de trouver un interprète. Dans mon hôpital, il n’y en a pas toujours pour des raisons budgétaires, ou alors c’est à nous d’en trouver un et de le payer. Mais ça coûte beaucoup trop cher et je ne peux pas me permettre d’en avoir un." La majorité des patients sourds doit donc, le plus souvent, faire face seule au médecin, en passant par l’écrit et le mime pour échanger, mais comme évoqué plus haut, les connaissances du français écrit sont parfois limitées.

     

    Or lorsqu’on est diabétique, l’information est le nerf de la guerre. Il faut constamment calculer les doses et les glucides, anticiper les situations, réajuster pour parvenir au meilleur équilibre possible. Cette prise en charge et les contraintes associées sont très nombreuses et constantes, ce qui implique une dimension éducative importante. Le patient est en effet acteur de sa maladie, puisque c’est lui qui prend toutes les décisions vitales au cours de sa journée. 

     

    Pour l’aider, il existe l’éducation thérapeutique, c’est-à-dire le partage des connaissances et du faire - très spécifique au diabète - qui se pratique dans les centres hospitaliers, au cours d’ateliers. Mais la nécessité de recourir à plusieurs interprètes et intermédiateurs rend particulièrement complexe leur mise en place pour les patients sourds. Cela se fait le plus souvent individuellement et prive ainsi le patient de l’échange d’expériences avec d’autres patients.

     

  • L’indispensable nécessité d’un accompagnement adapté.

    Depuis une quinzaine d’années, une consultation mensuelle destinée aux patients sourds avec un diabète a vu le jour à la Pitié-Salpêtrière à Paris. Cette consultation, dirigée par le Dr. Marine Halbron répond à un réel besoin, et a pu être mise en place en coordination avec l’UNISS (Unité d’Information et de Soins des Sourds), grâce à l’intervention lors de ces consultations d’un interprète en LSF et d’un intermédiateur. 

     

    L’intermédiateur vient faire le pont entre le public sourd et les professionnels entendants, car bien souvent, pour tout ce qui touche à la santé et au médical, traduire ne suffit pas. "Il est nécessaire de compléter les propos, de reformuler en s’adaptant à la langue des signes du patient, et de reformuler les propos du patient en termes adaptés au monde médical" précise un intermédiateur sourd de l’UNISS. La présence seule d’un interprète est donc insuffisante.

     

    Et pourtant, c’est loin d’être évident puisque comme l’admet le Dr. Halbron : "on a l’habitude d’une relation duale, patient et médecin. Or, ici nous sommes trois face au patient. Néanmoins, cela me semble indispensable, et je n’ose imaginer comment cela se passerait sans ces trois interlocuteurs et vu la complexité de la prise en charge de la maladie".

     

  • Le milieu associatif, une piste vers laquelle se tourner ?

    L’autre axe important à soulever est le rôle que doivent jouer les associations de patients pour davantage d’inclusivité et d’accessibilité.

     

    Il serait nécessaire de développer des outils de documentation, plus visuels, destinés aux patients sourds, ainsi que des accès en LSF à des conférences, informations et documentations. Des espaces d’échanges et de rencontres pour lutter contre le sentiment d’isolement seraient également à mettre en œuvre. Saluons ici l’initiative de l’Association Française des Diabétiques Occitanie (AFD Occitanie) qui a mis en place des "Cafés Diabète", avec la présence d’un interprète en LSF et animés également par des patients sourdiabétiques (comme ils se nomment eux-mêmes). Ce genre d’initiatives reste encore trop marginal mais mérite d’être développé.

     

    Pour Amélie, 17 ans et qui vit avec un diabète de type 1 depuis ses 13 ans, il manque des groupes de parole et des moments d’échanges entre sourds sur le diabète : "Pourquoi ça n’existe pas pour les sourds alors qu’il y en a plein pour les entendants. Je ne savais pas qu’il y en avait autant ! On pourrait se retrouver entre sourds aussi, ça manque, c’est dommage !"

     

    S’il reste encore un travail important à fournir en matière d’accessibilité, il est plus qu’essentiel de sensibiliser le grand public à ces questions pour que les lignes bougent et qu’on intègre les sourds et la LSF dans la sphère diabète.





    Ressources : 

     

    Liste des Unités d’Accueil et de Soins des Sourds :

    https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/uass_010422.pdf

     

    UNISS (Unité d’informations et de soins des sourds) :

    https://pitiesalpetriere.aphp.fr/unite-dinformations-et-de-soins-des-sourds-uniss/

     

    AFD Occitanie :

    https://afdoc.federationdesdiabetiques.org/les-actus

     

    Ateliers d’éducation thérapeutique proposés par le CHU de Grenoble :

    https://www.afdet.net/wp-content/uploads/2018/05/stage-en-etp-langue-des-signes.pdf

     

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