Elizabeth Pfiester : “Je veux contribuer à rendre le monde meilleur”.
Rendre le monde meilleur ? Il y a ceux qui y aspirent et ceux qui agissent vraiment. Au début de sa vie professionnelle, Elizabeth Pfiester se lance dans des recherches sur l’accès à l’insuline dans le monde. Dix ans plus tard, elle n’est plus seule devant son ordinateur. Elle dirige l’une des organisations militantes les plus puissantes de la communauté. Portrait.
Suivez ce lien pour vous inscrire au pot de départ virtuel d'Elizabeth Pfiester le 14 septembre à 17h.
C’est l’histoire d’une femme qui préférerait qu’on ne raconte pas son histoire. Parce que ce n’est pas seulement la sienne. Parce que, si elle se bat, si elle s’est battue, ce n’était pas pour elle. Parce qu’à travers elle, ce sont des centaines, des milliers de personnes, dans le monde entier, qu’il faudrait nommer pour parler d’elle en vérité.
Ce sont les histoires de ces personnes qui la nourrissent jour après jour, depuis maintenant dix ans, qui alimentent son feu intérieur - un mélange “de rage et d’espoir”, équilibre précaire entre le déchirement et la soif de justice. C’est avec elles qu’elle a œuvré à donner une voix, un poids, des armes, à ceux qui n’en avaient pas.
Cette voix, c’est celle de T1International qui se bat aujourd’hui pour que chaque personne vivant avec un diabète ait accès à ce dont elle a besoin pour “survivre et accomplir ses rêves”.
L’évidence de l’engagement
Née aux Etats-Unis, Elizabeth Pfiester avait 4 ans quand elle est devenue diabétique. Pendant dix-neuf années, son quotidien diabétique ressemble à une lutte sans fin avec les assurances, tout comme pour les millions d’autres personnes vivant avec un diabète aux Etats-Unis.
En 2011, elle part étudier à Londres et c’est la révélation : “J’avais lu que si vous étiez étudiant pendant plus de six mois au Royaume-Uni, vous pouviez rejoindre le National Health Service [équivalent de la sécurité sociale française, ndlr]. C’est ce que j’ai fait, je suis allée chez le médecin par l’intermédiaire de la clinique de l’Université pour avoir mes ordonnances. Puis je suis allée à la pharmacie chercher mon insuline, mes bandelettes et tout le reste. Comparé aux Etats-Unis, c’était le jour et la nuit. Je me souviendrai toujours d'être sortie de la pharmacie sans avoir eu à payer quoi que ce soit. [...] Cette expérience m’a ouvert les yeux : j’ai réalisé que ça pouvait fonctionner comme ça, que ça devrait fonctionner comme ça.”
Elle tient alors un blog où elle raconte ses voyages et sa vie au Royaume-Uni. A la fin de son master en Développement international, alors qu’elle fait des recherches sur l’accès à l’insuline dans le monde, elle prend conscience du gouffre d’informations sur le sujet. Après avoir passé des heures et des heures à rassembler des bribes d’informations glanées ici ou là, elle se dit que ça aurait du sens de les rassembler quelque part, histoire que ceux que ça intéresse n’y passent pas autant de temps qu’elle. Elle laisse de côté son blog personnel pour se lancer là-dedans et… l’engrenage est lancé.
C’est l’histoire d’une femme qui a mis le doigt sur quelque chose et qui ne s’est pas défilée. Petit à petit, la quantité d’informations trouvées grandit et, avec elle, le nombre de rencontres, d’échanges. La situation mondiale devient plus claire, se révèle dans tout ce qu’elle a de terrible, à tel point qu’Elizabeth Pfiester commence à se demander comment passer de la collecte d’informations à l’action : “Je voulais créer et trouver un espace pour que les gens puissent faire quelque chose, mais je ne savais pas encore très bien quoi.”
Elle s’engage dans différentes associations mais ça ne va pas assez loin pour elle : “Ça ne comblait pas le vide que j’avais identifié, l’absence d’une voix pour les personnes vivant avec un diabète, d’une sorte de plaidoyer qui œuvre à des changements sur le long terme. Je savais à quel point la tâche serait énorme, j’ai donc essayé de faire en sorte que ce ne soit pas moi, sans trouver, et c’est devenu inévitable : il fallait que quelqu’un le fasse.”
Alors elle formalise l’organisation, rassemble autour d’elle un conseil d’administration et la communauté déjà engagée à ses côtés et, ensemble, ils se lancent vraiment. C’est le début de T1International.
L’humain et le collectif avant tout
Les choses ne se sont pas faites en un jour, mais plutôt sur des années, à l’image des combats menés ensuite. A l’origine de T1International, il n’y a pas de business angel ou d’investisseur intrigué. Il y a quelques personnes qui partagent le même courage fou et des valeurs profondément humaines : “Nous ne voulons pas nous défiler devant les horreurs qui se passent dans le monde, ni devant l’influence de l’industrie pharmaceutique.” Une organisation qui fait toujours front, onze ans plus tard, et n’est pas prête de se taire.
Une œuvre d’audace et de lenteur qui a su, à force de persévérance et de travail acharné, prendre sa place dans le monde. Sur leur site internet, les visiteurs viennent de tous les continents. Ils y affichent notamment une carte du monde avec des informations sur le diabète dans près de soixante-dix pays. Ils ont aujourd’hui un réseau mondial de plaidoyer qui compte des représentants de plus de vingt pays, avec qui ils travaillent en étroite collaboration. Avec leur campagne Fight For Five, ils se mobilisent par exemple pour faire évoluer les politiques locales au Panama, au Pakistan, en Inde et au Zimbabwe et demander que les dépenses de santé liées au traitement ne dépassent pas 5 % du revenu d’une personne. Tout en continuant à défendre les intérêts des personnes diabétiques au niveau international, auprès de l’Organisation Mondiale de la Santé.
L’avancée la plus importante, dernièrement, a eu lieu aux Etats-Unis où T1International est particulièrement actif : des fabricants d’insuline se sont engagés à baisser les prix de certaines de leurs insulines. T1International suit de près les effets de cette annonce : “Une partie de notre rôle consiste non seulement à encourager le changement, mais aussi à veiller à ce qu'il soit mis en œuvre. Mais nous savons que ce qui se passe aux États-Unis a un impact sur le reste du monde.” On pourrait aussi mentionner d’autres pays, où, grâce au lobbying, la population locale parvient à faire entrer l’insuline ou les bandelettes dans la liste des médicaments remboursés par l’Etat. Le prix de certaines bandelettes a ainsi baissé au Kenya. “Il y a du mouvement et du lobbying partout dans le monde. Mais c'est un processus lent, qui prend vraiment du temps. Et ensuite, il faut espérer que ce qui est mis en place le reste le plus longtemps possible.”
Comment trouver la force de continuer le combat, jour après jour ? C’est le collectif qui porte Elizabeth Pfiester. Ce sont ces moments de formation en Afrique du Sud ou au Ghana, où ils apprenaient autant qu’ils transmettaient. Cette manifestation, devant les bureaux d’Eli Lilly à Indianapolis, avec neuf familles ayant perdu l’un des leurs par manque d’insuline, où ils criaient les prénoms de ces personnes mortes tellement injustement. Les noms de ceux qui sont partis trop tôt, parce qu’ils sont nés dans un pays et pas un autre, qu’elle garde en elle comme une blessure à vif. Cette communauté, sans laquelle rien n’aurait été possible : “On peut faire tellement plus, collectivement, quand nous nous soutenons les uns les autres, que lorsqu’on est seul. [...] Dans les médias et à travers l'histoire, on apprend qu'il y a tel ou tel héros qui sauve tout le monde, mais ce n'est pas ce qui se passe. On donne un visage à ces événements historiques, mais c'est généralement grâce à un immense groupe de personnes, parfois même des milliers, des gens qui restent discrètement à l'arrière-plan, qui ne se soucient pas d'attirer l'attention.” Ce qu’ils ont été capables de faire ensemble, en unissant leur voix, voilà ce qui inspire vraiment Elizabeth Pfiester. Voilà ce qui lui donne envie de se lever le matin… et aussi, confie-t-elle dans un demi-sourire, tous ces mails qui l’attendent et qu’elle ne peut pas laisser sans réponse.
Embrasser le changement
Et pourtant, d’ici quelques mois, ce ne sera plus elle qui répondra à ces mails. Elizabeth Pfiester laisse sa place d’Executive Director au sein de T1International. Elle s’assure ainsi que l’organisation soit toujours prête à embrasser le changement. Dès le début, elle trouvait important que l’existence de T1International ne repose pas sur sa présence à elle : “Je pense que c’est le signe d’une organisation solide et durable.”
Il est également temps pour elle de retrouver un quotidien où tout ne tourne pas autour du diabète : “Je me sens très chanceuse de pouvoir faire quelque chose qui me passionne. Mais je suis diabétique, mon compagnon est diabétique et je travaille autour du diabète, donc tout tourne autour de ça, tout le temps. Il y a beaucoup de joies là-dedans mais, surtout avec certaines des choses difficiles auxquelles nous sommes confrontés, cela peut vraiment être épuisant.”
Je vais devoir découvrir qui je suis quand je ne suis pas à la tête de T1International.
Ce qu’elle fera ensuite ? C’est une des rares occasions de sa vie où elle peut… ne pas le prévoir. Les mois suivants son départ seront tout simplement consacrés à passer du temps avec sa famille et réfléchir à la suite : “Je sais que je vais devoir découvrir qui je suis quand je ne suis pas à la tête de T1International. Le diabète a toujours fait partie de mon identité, comme j’ai été diagnostiquée jeune. Mais j’aime aussi lire, peindre. Je pense que je suis quelqu’un de créatif. J’ai une chienne, que j’adore, qui fait partie de la famille. Il y a tellement d’autres choses encore qui font de moi qui je suis, mais je pense qu'au fond, je veux pouvoir contribuer, avec beaucoup d'autres personnes extraordinaires, à rendre le monde meilleur.” Et on ne doute pas qu’elle trouvera une autre manière de le faire avec la même force, la même soif de justice et la même humanité.
C’est l’histoire d’une femme qui préférerait qu’il n’y ait pas d’histoire à raconter. Mais aujourd’hui, partout dans le monde, nous avons besoin de personnes comme elle, comme Bruna Amaral et Lindsey Bressan (respectivement Operations Manager et Development Coordinator chez T1International), et aussi de toi, de toi et de toi, pour faire entendre notre voix, reconnaître nos droits et que plus personne, jamais, nulle part, ne meure du diabète.
À lire aussi : Non, le prix de l'insuline n'est pas plafonné à 35 dollars aux Etats-Unis.