Glucose toujours, le média qui en dit long sur le diabète

Professionnels de santé : comment accompagner un patient qui utilise une boucle fermée do-it-yourself ?

Les boucles fermées non-commerciales en open source sont encore trop méconnues des professionnels de santé. Les appels à la vigilance des autorités de santé n’arrêtent pourtant pas les personnes vivant avec un diabète de type 1 d’utiliser ces systèmes, ô combien efficaces et sûrs. Mais alors voilà, comment accompagner un patient qui utilise une boucle fermée DIY lorsqu'on est un professionnel de santé ? Le véritable risque avec les boucles fermées DIY n’est pas de les utiliser mais de ne pas en parler, explique la diabétologue allemande Katarina Braune. Cinq personnes vivant avec un diabète et utilisant une boucle fermée DIY se sont confiées au micro de “Glucose toujours” sur leur relation avec leurs soignants et leurs attentes.

Professionnels de santé : comment accompagner un patient qui utilise une boucle fermée do-it-yourself ?
Toi + Moi + le DIY
  • Qu’est-ce qu’une boucle fermée DIY ?

    Le terme Do It Yourself signifie fait soi-même ou fait-maison en anglais. Dans le contexte d’une boucle fermée, il désigne un système d’administration automatisée de l’insuline qui a été installé par l’utilisateur lui-même ou un proche. On télécharge un code sur une plateforme (Github, la plus utilisée par les développeurs) puis on crée une application mobile et l’installe sur son téléphone, le tout grâce à des consignes illustrées et bien précises. La boucle fermée s’adresse à toutes celles et ceux qui en ont marre d’attendre des décisions de remboursement de boucle fermée commerciale ou l’arrivée d’une option de traitement convenable et personnalisée, que l’on soit expert ou néophyte en technologie et codage. 


    L'avènement des boucles fermées DIY est un incroyable phénomène mondial. En 2014, une jeune américaine du nom de Dana Lewis réussit à connecter son capteur de glycémie à sa pompe à insuline par le biais d’un petit ordinateur. Ça marche tellement bien qu’elle décide de partager sa création (le code) avec la communauté des personnes vivant avec un diabète. D’autres algorithmes ont vu le jour depuis et permettent plus de personnalisation tels qu'OpenAPS, AndroidAPS, Loop ou FreeAPS. C’est ainsi qu’est né le mouvement #WeAreNotWaiting (“nous n’attendons pas”) sur les réseaux sociaux.

  • Un dilemme pour les professionnels de santé.

    Katarina Braune est pédiatre et diabétologue à l’hôpital Charité de Berlin. Elle a co-fondé l’Open Project, un projet financé par l’Union européenne qui étudie spécifiquement le phénomène #WeAreNotWaiting. 

     

    Lors d’une session dédiée aux boucles fermées DIY lors du congrès de l’ISPAD en octobre 2022, Braune a reconnu que les boucles fermées DIY sont un dilemme pour les professionnels de santé. Le système marche tellement bien, les résultats cliniques sont remarquables chez les patients mais l’incertitude plane quant au cadre légal autour de son utilisation.

     

    Ce paradoxe est bien illustré par l’étude de Thomas Crabtree. En 2020, il a mené une enquête en Grande-Bretagne sur l’attitude des professionnels de santé vis-à-vis des boucles fermées en open source. 43 % des interrogés affirment que le système est dangereux s’il est entre les mauvaises mains. 91 % se sentent inconfortables à l’idée de lancer le sujet des boucles fermées DIY à cause de l’absence de régulation (67 %) mais aussi parce qu’ils ne connaissent pas suffisamment le système (63 %).

    Néanmoins, 47 % des professionnels de santé ont avoué qu’ils utiliseraient une boucle fermée DIY s’ils avaient un diabète de type 1.

     

  • Un consensus international sur les boucles fermées DIY pour mieux guider les professionnels de santé.

    Pour guider les professionnels de santé et pallier le manque de régulation, un consensus a été publié en novembre dernier dans la revue scientifique la plus prestigieuse, The Lancet. Signé par 44 professionnels de santé et 4 experts juridiques, le consensus a été soutenu par des organisations comme l’International Society for Pediatric and Adolescent Diabetes et la Fédération Internationale du Diabète. Le consensus propose une série de recommandations à destination des professionnels de santé. 

     

    Les systèmes d’administration automatisée d’insuline sont sûrs et efficaces, cela ne fait plus de doute. Suffisamment d’études le prouvent : in silico, chez les animaux, dans le monde réel, recherche qualitative, étude systématique, et même un essai clinique. Ce dernier a été publié en septembre dernier dans The New England Journal of Medicine, la crème de la crème des revues scientifiques. Dana Lewis en est d’ailleurs la co-auteure.

     

    Avec cette publication, nous avons brisé un plafond de verre : on ne peut pas faire mieux qu'un article dans The New England Journal of Medicine” avoue Braune.

     

  • Comment sont suivis les patients qui utilisent une boucle fermée DIY en France ?

    On ne sait pas exactement combien de personnes utilisent une boucle fermée DIY dans le monde ou en France. Elles sont près de 30 000 sur les groupes Facebook anglophones et près de 1 000 sur le groupe Facebook Looped France, espace d’échange et d’entraide réactif et bienveillant. 

     

    Si les autorités de santé et les associations restent silencieuses au sujet des boucles fermées DIY, les personnes qui vivent avec le diabète et les professionnels de santé, eux, ne sont ni muets, ni sourds. 

     

    Karim a 54 ans et utilise l’algorithme en open source AndroidAPS depuis février 2022. Il ne l’a jamais caché à son médecin. “Ma diabétologue me fait une confiance totale sur le plan médical. Elle savait que je ne ferais pas n'importe quoi. Elle n’était pas très au fait d’un point de vue technologique, alors je me suis débrouillé. Je n’ai jamais fait ça derrière son dos. Elle fait même partie des personnes autorisées à suivre mes glycémies sur Nightscout". Nightscout est un logiciel lui aussi en accès libre qui donne accès aux données du capteur de glycémie et à d’autres variables relatives à l’administration d’insuline.

     

    C’était un peu plus compliqué pour Marie, 25 ans, qui avait peur d’en parler à ses soignants lorsqu’elle est passée avec Loop en juin 2021. “Et si je n’avais plus accès à ma pompe à insuline et à mes capteurs ? C’est ça qui serait dangereux, car je n’aurais certainement plus les excellents résultats que j’ai depuis que j’utilise une boucle fermée DIY.” Marie se souvient aussi du scepticisme de son prestataire de santé, celui qui fournit les pompes à insuline et les capteurs prescrits par le médecin. “La première fois que je lui ai avoué que j’utilisais une boucle fermée DIY, mon infirmière m’a dit qu’elle devait le signaler auprès de ses supérieurs. J’ai eu peur sur le coup, mais cela n’a eu aucune répercussion.

     

    Grâce à la communauté en ligne et les réseaux sociaux, les personnes s’échangent des conseils et recommandations sur les professionnels de santé pro-DIY. Et vice et versa. Les professionnels de santé se tournent vers les patients pour en savoir plus sur cette technologie innovante. “Lorsque j’en ai parlé à ma diabétologue, elle ne pouvait bien évidemment pas me conseiller à ce sujet mais elle m’a mis en contact avec une de ses patientes qui utilisait une boucle fermée DIY. Aujourd’hui, c’est à mon tour de conseiller d’autres personnes et ma diabétologue me met en contact avec d’autres de ses patients qui s’interrogent sur ce système” nous raconte Marie.

     

    Robert, 59 ans et utilisateur d’AAPS depuis 2020, parle de plein de choses avec sa diabétologue et notamment de sa boucle fermée DIY, “d’expert à expert”. Elle aussi lui redirige des patients voulant passer à une boucle fermée DIY. Robert est par ailleurs très actif dans le groupe WhatsApp qui réunit aujourd’hui une trentaine de personnes utilisant une boucle fermée DIY et répond aux questions techniques que la communauté se pose.

     

    Le diabétologue de Sylvie, 60 ans et utilisatrice d’AAPS depuis 2019, la laisse utiliser ce système : “Au vu de mes bons résultats, elle me laisse vivre ma vie, elle me fait les prescriptions et si j’ai besoin d’elle je l’appelle. L’essentiel c’est de ne pas être en attente du diabétologue. Si on est capable de mettre en place une boucle fermée DIY, alors il faut le faire. Nous avons aussi le pouvoir d’apporter des connaissances et des informations aux professionnels de santé.

     

    Michael a 39 ans et s’est lancé avec AAPS en 2020 sur les conseils de deux amis qui vivent avec un diabète. “Heureusement qu’ils étaient là car j’étais parfois perdus techniquement parlant. Je regrette car si tu n’as personne autour de toi, tu peux ne pas y arriver, et ce ne sont pas les médecins qui vont nous aider. L’évolution de la mentalité médicale est lente par rapport à l’évolution des boucles fermées DIY. Les médecins qui nous soutiennent prennent des risques et c’est malheureux que le DIY ne soit pas plus pris en compte malgré les résultats.” Malgré des affinités technologiques différentes dans son hôpital, son équipe soignante respecte son choix de traitement et son autonomie. “Mon service est très pro-boucles fermées commerciales et mon premier diabétologue ne connaissait rien au DIY. Il m’a dit qu’il apprendrait avec moi. En revanche, mon nouveau diabétologue est un peu moins enthousiaste et essaie de me faire passer à la boucle fermée commerciale. Mais aucune boucle fermée commerciale ne me convient pour le moment.” 



    Comme Katarina Braune l’a rappelé à l’ISPAD, “le risque, ce n’est pas d’utiliser une boucle fermée DIY, mais c’est de ne pas en parler à son médecin”. Alors parlons-en, en consultation, lors des congrès médicaux, dans la presse médicale et les réseaux sociaux, pour que les boucles fermées DIY soient enfin (re)connues.

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