Thérapies pour modifier le cours du diabète de type 1 et le guérir : des pistes variées sont à l’étude
C‘est à Bruges, en Flandre occidentale Belge, que la société savante de l’IDS (pour Immunology of Diabetes Society - Société de l’immunologie du diabète en français) s’est réunie en congrès début novembre 2024. Cette institution du monde de la recherche consacrée au diabète de type 1 se caractérise par la richesse de son plateau d’intervenants experts et le dynamisme de ses présentations scientifiques, auxquelles a pu assister pour vous “Glucose toujours”. Et qui dit immunologie dit immunothérapies. Nous nous sommes ainsi intéressés aux dernières pistes à l’étude pour faire dévier de sa trajectoire, le diabète de type 1 et plus, si affinité.
Pour couvrir au mieux les attentes de nos lecteurs, nous avons demandé à nos abonnés de choisir le sujet qui les intéressait le plus sur l’immunologie. Cet article répond donc à une des questions plébiscitées. Retrouvez également nos deux autres articles issus de notre couverture spéciale de l’IDS, en accès libre et également traduits en anglais : “Au-delà des auto-anticorps : comment optimiser le dépistage du diabète de type 1 ?” et “Cure du diabète de type 1 : que faut-il attendre des spécialistes de l’immunologie ?”.
Mais comment parler d’immunothérapies du diabète en 2024 sans commencer par évoquer l'unique traitement en vigueur, utilisé aujourd'hui quasi exclusivement outre Atlantique : le teplizumab ? Point de départ nécessaire pour bien comprendre le rôle que va jouer ce type de molécules pour un futur du diabète de type 1 sans insuline, il est la figure de proue des thérapies dites “modificatrices de la maladie”. Validé en novembre 2022 par la FDA (Food and Drug Administration ou Autorité régulatrice du médicament aux États-Unis), cet anticorps monoclonal vient partiellement modifier l’auto-immunité chez les personnes qui sont au stade 2 et présymptomatique de la maladie pour en retarder l’apparition du diagnostic clinique ou stade 3.Comment mesurer et prédire l’efficacité d’une immunothérapie du diabète ?
Avant d’aborder d’autres thérapies potentielles pour l’avenir, il est bon de rappeler que même le teplizumab, approuvé pour une utilisation clinique dans une poignée de pays dans le monde, cherche encore ses marques. En effet, les études se prolongent pour savoir comment l’administrer de la manière la plus efficace, mais aussi à d’autres stades plus précoces ou tardifs que son actuelle prescription. C’est tout le sujet discuté par le chercheur agrégé en endocrinologie clinique et expérimentale de l’Université Catholique de Louvain en Belgique, Pierre Lemaitre.
Pour le scientifique belge, la compréhension des mécanismes de résistance et de réponses aux immunothérapies est primordiale pour réussir à adapter chacune d’elles de manière personnalisée aux patients. Il souligne comment certains biomarqueurs, tels que les neutrophiles, des globules blancs aux multiples rôles, peuvent renseigner sur le bon fonctionnement d’un immunomodulateur comme le teplizumab : “Les gènes exprimés par les neutrophiles reflètent souvent l’environnement inflammatoire du pancréas et peuvent prédire l’efficacité des thérapies.” Par extension, une meilleure réponse au traitement va se traduire, comme montré sur des modèles de souris, par une meilleure préservation des cellules bêta productrices d’insuline. Le chercheur de Louvain assure que “comprendre leur rôle pourrait être la clé pour transformer notre approche thérapeutique”. Ainsi, il souhaite pouvoir mobiliser ces biomarqueurs pour diriger les essais cliniques et mieux cibler les patients qui peuvent tirer profit de tel ou tel médicament. Cela aurait comme autre effet positif de réduire le coût et la durée des essais cliniques.
De nombreuses voies en cours d’exploration pour des immunothérapies ciblées dans le diabète de type 1
Succédant à Pierre Lemaitre, c’est le Dr Courtney Crane, vice-présidente de la biotech Mozart Therapeutics qui a pris la parole pour les travaux relatifs à leur molécule MTX-101, affichant clairement son objectif de “restaurer l’équilibre immunitaire sans immunosuppression généralisée, en ouvrant la voie à des traitements plus sûrs et plus efficaces”. Le MTX-101 vise les cellules T régulatrices CD8 ou Tregs pour traiter le diabète de type 1. Ce faisant, il limite la prolifération des cellules T CD4 auto-immunes qui s’attaquent aux cellules bêta du pancréas, tout en évitant des effets secondaires impliquant d’autres cellules immunitaires. Des résultats encourageants ont été mesurés in vitro et ex vivo, montrant une réduction de l’inflammation ainsi qu’une baisse de la destruction des cellules bêta en même temps qu’une augmentation de la sécrétion d’insuline. En phase clinique sur des adultes en bonne santé, la molécule a présenté un profil de sécurité favorable et doit prochainement être testée sur des patients diabétiques de type 1 afin d’évaluer son efficacité.
De son côté, la doctorante de l’Université de Colombie-Britannique à Vancouver, Lindsay Pallo a présenté le principe d’un vaccin à ARN messager utilisable pour prévenir ou inverser le diabète de type 1. Contenant à la fois des immunomodulateurs pour réduire l’inflammation créée par les vaccins à ARN messager classiques, et des antigènes adaptés, celui-ci se distingue par l’encapsulation de son matériel avec des Nanoparticules Lipidiques ou LNP. Son action vise à réintroduire la tolérance immunitaire envers les cellules bêta grâce à une intégration par les cellules dendritiques impliquées dans le déclenchement des réponses immunitaires. Les résultats en prévention comme en inversion de l’hyperglycémie chez les souris diabétiques a démontré la mise en place d’un environnement immuno-tolérant, permettant notamment un retour à une glycémie normale jusqu’à 150 jours après le vaccin.
Une autre session s’intéressant au dialogue entre cellules bêta et cellules immunitaires a vu l’intervention de la biologiste Erica Cai de l’Indiana Biosciences Research Institute. La chercheuse, spécialiste de la protection des cellules bêta pancréatiques, a présenté ses avancées sur la connaissance du gène ZBED3 et son rôle dans leur capacité de survie et de résilience face à l’auto-immunité. Ce gène a été identifié par les équipes d’Erica Cai comme pouvant intervenir dans la propension des cellules bêta à instiguer l’auto-immunité. En modifiant ou en inhibant ce gène, les cellules bêta deviennent moins visibles aux cellules T et ainsi survivent mieux à leurs attaques tout en sécrétant mieux leur insuline. On mesure donc facilement tout l’intérêt de cette découverte pour de potentiels futurs traitements curatifs fonctionnels. Erica Cai a d’ailleurs souligné l’importance de pousser plus loin ces recherches afin de mieux “comprendre ces mécanismes et concevoir des cellules bêta résistantes aux attaques auto-immunes, ce qui serait une étape cruciale vers la réversion du diabète de type 1” dans le cas de greffes d’îlots par exemple.
Le congrès de l’IDS a vu l’intervention enthousiasmante de la médecin et chercheuse américaine Denise Faustman. La professeure agrégée de médecine à l'université de Harvard est revenue sur le rôle majeur pouvant être joué dans le diabète de type 1 par le très éprouvé vaccin contre la tuberculose BCG (pour Bacille de Calmette et Guérin). Celui-ci joue en effet un rôle dans la modification de la réponse immunitaire, mais aussi dans celle des cellules lymphoïdes qui appartiennent aux nombreuses cellules du système immunitaire. Il est ainsi considéré par l’Américaine comme un candidat sérieux au traitement du diabète de type 1 chez les personnes vivant depuis de nombreuses années avec la maladie. Il impliquerait plusieurs doses et un temps assez long pour impacter le métabolisme des cellules immunitaires, car il “n'est pas seulement une action directe sur le pancréas, mais une transformation systémique qui prend du temps pour s’établir”, mais ses résultats sont surprenants. Les patients malades chroniques de longue durée voient leur hémoglobine glyquée réduire de manière importante sans que le fonctionnement de leurs cellules bêta ne soit rétabli, et ce “grâce à une réorientation métabolique de leur système lymphoïde” précise Denise Faustman. Elle conclut sur le thème d’une cure fonctionnelle, en indiquant espérer “combiner le BCG avec des thérapies telles que les greffes d’îlots pour maximiser les bénéfices immunitaires et métaboliques”.L’inspiration thérapeutique en provenance d’autres pathologies
Polyarthrite rhumatoïde, sclérose en plaques, vitiligo et diabète de type 1 : l’étude des maladies auto-immunes révèle de nombreux points communs quant aux phénomènes d’inflammation, de fibrose, mais aussi en termes de biomarqueurs de leur évolution. C’est le constat du professeur de rhumatologie de l’Université du Michigan David Fox qui incite à “tirer parti des succès dans d’autres maladies pour concevoir des traitements plus efficaces pour le diabète de type 1”. Prenant l’exemple de l’attaque auto-immune par les cellules T cytotoxiques commune au vitiligo et au diabète de type 1, il souligne l’intérêt que pourrait avoir pour le DT1, le traitement anti-IL-15 déjà utilisé dans la première pathologie. De la même manière, il évoque le rôle de l’anti-CD6 qui a fait ses preuves dans la sclérose en plaque pour atténuer les réponses immunitaires, et qui aurait sa place dans le traitement du diabète de type 1. Enfin, pour les biomarqueurs identifiés dans la polyarthrite et qui ont permis de discerner des profils génétiques distincts chez les patients permettant des stratégies thérapeutiques plus personnalisées, le professeur Fox l’affirme : “Ils peuvent devenir des outils clés pour sélectionner les patients susceptibles de répondre à une thérapie spécifique, améliorant ainsi les résultats cliniques.”
Les maladies génétiques rares, issues de mutations monogéniques, sont une source pertinente de savoir pour améliorer la compréhension des mécanismes fondamentaux de la progression du diabète de type 1 et l’élaboration de possibles traitements. C’est l’apport du professeur spécialiste d’immunologie et de génétique Mark Anderson, de l'Université de Californie à San Francisco. Pour lui, “l'observation de patients avec des mutations monogéniques nous permet de comprendre comment un seul gène peut provoquer une perturbation immunitaire majeure”. Un cas clinique illustratif est celui d’un adolescent diabétique de type 1 et porteur d’une mutation de type STAT1, qui a montré une rémission totale de son diabète suite à un traitement par ruxolitinib. Ce médicament, inhibiteur de JAK, a restauré la tolérance immunitaire envers les cellules bêta, inversant ainsi totalement le diabète. Ce traitement a permis “l’arrêt de l’insulinothérapie et le maintien de l’HbA1c dans une plage non diabétique”.Les maladies inflammatoires de l’intestin comme la maladie de Crohn ou la rectocolite hémorragique comptent, elles aussi, comme des références possibles en termes de compréhension des mécanismes du diabète de type 1 et de traitements. La réponse dysfonctionnelle du système immunitaire, mais aussi la forte augmentation de ces maladies chroniques dans les pays occidentaux permettent aisément de faire le rapprochement avec le DT1. Mais comme l’a démontré Séverine Vermeire de l’Université Catholique de Louvain, professeure spécialisée dans la recherche sur les désordres gastro-intestinaux, des défis et des échecs accompagnent les succès de la discipline. En effet, si la cartographie génétique de ces maladies a permis d’en éclairer les mécanismes biologiques, la chercheuse belge rappelle aussi l’importance des progrès en termes de traitement avec les anti-TNF comme l’infliximab. Dans le même temps, elle déplore les faibles résultats obtenus puisque “seulement 30 % des patients atteignent une rémission durable, loin des succès observés en dermatologie pour le psoriasis”. À cela s’ajoute les écarts entre les résultats des examens cliniques et les déclarations des patients dont “seul un tiers ayant une muqueuse normale rapportent une normalisation de leurs symptômes” : les critères de succès des traitements sont donc aussi à interroger, de même que les dimensions encore trop peu explorées du microbiome et de l’alimentation comme facteurs de déclenchement et de progression de ces maladies, comme c’est le cas pour le DT1.
Les risques des immunothérapies : l’exemple du traitement du cancer à l’origine du déclenchement d’un diabète auto-immun
Invitée en tant qu’étoile montante de la recherche, Zoe Quandt, endocrinologue de l’Université de Californie à San Francisco a partagé un cas spécifique liant le traitement du cancer avec le diabète de type 1. En effet, la chercheuse américaine a démontré l’impact paradoxal de certaines immunothérapies, particulièrement efficaces contre différents types de cancers, mais potentiellement néfastes en matière d’auto-immunité. Ces thérapies, en exploitant les inhibiteurs de points de contrôle immunitaires pour détruire les cellules cancéreuses, peuvent provoquer un diabète de type 1 comme effet secondaire. “Ces thérapies révolutionnent le traitement du cancer, mais elles déclenchent également des troubles auto-immuns qui affectent presque tous les organes, y compris le pancréas.” Zoe Quandt a souligné la brutalité de l’apparition de ce diabète induit par immunothérapie, accompagné d’acidocétose dans 50 à 75 % des cas et caractérisé par une destruction ciblée des cellules bêta sans inflammation généralisée des îlots pancréatiques. Contrairement au diabète de type 1 classique, ces cas se présentent sans les auto-anticorps habituels. Elle a aussi mentionné une observation intrigante : les patients développant ce type de diabète semblent mieux répondre aux traitements anticancéreux et bénéficier d’une survie prolongée, révélant un lien complexe et encore mal compris entre ces pathologies. Ce lien paradoxal entre succès thérapeutique contre le cancer et auto-immunité reste une mécanique qui doit encore être étudiée en profondeur pour être comprise.
Le congrès de l’IDS s’est à nouveau révélé être le théâtre de nombreuses sessions scientifiques illustrant la richesse et le dynamisme des travaux menés à travers le monde. Ces sessions ont montré que si les immunothérapies en sont encore à leur balbutiement dans le domaine du diabète de type 1, elles trouvent des modèles performants par ailleurs. Cela laisse envisager des optimisations prochaines pour les traitements des patients, dans leur diversité. De quoi augmenter l’impatience de la communauté des patients et de leurs proches quant à un futur moins pesant et peut-être même sans insuline.
Cet article fait partie d’une série de trois sur le congrès de l’Immunology of Diabetes Society. Afin de rendre ces articles en libre accès, cette couverture spéciale est financée par l’IDS, mais Glucose toujours conserve pleinement son indépendance éditoriale.