Au-delà des auto-anticorps : comment optimiser le dépistage du diabète de type 1 ?
Le congrès annuel de l’IDS (pour Immunology of Diabetes Society - Société de l’immunologie du diabète en français) qui a pris place dans la salle de concert de Bruges en Belgique durant cinq jours, a permis de largement discuter la question du dépistage du diabète de type 1. Si celui-ci nous fait entrer dans une ère d’anticipation et de prédiction de la maladie, il doit encore être optimisé et fiabilisé pour permettre une mise en œuvre plus performante et un déploiement plus large. Peut-être l’occasion de s’appuyer sur différentes technologies et modèles pour notamment réussir à mieux définir les personnes qui doivent être dépistées en priorité. C’est ce qui est ressorti de plusieurs sessions scientifiques auxquelles a pu assister spécialement pour vous “Glucose toujours”. Explications.
Pour couvrir au mieux les attentes de nos lecteurs, nous avons demandé à nos abonnés de choisir le sujet qui les intéressait le plus sur l’immunologie. Cet article répond donc à une des questions plébiscitées. Retrouvez également nos deux autres articles issus de notre couverture spéciale de l’IDS, en accès libre et également traduits en anglais : “Thérapies pour modifier le cours du diabète de type 1 et le guérir : des pistes variées sont à l’étude” et “Cure du diabète de type 1 : que faut-il attendre des spécialistes de l’immunologie ?” .
Interrogée lors du congrès de Bruges, la chercheuse et endocrinologue belge Chantal Mathieu nous a confié son engouement pour l’époque actuellement traversée par le monde de la recherche sur le diabète et les possibilités qu’elle semble ouvrir : “C’est très excitant, et c'est un monde complètement nouveau qui s'ouvre à nous. En tant qu'endocrinologues et endocrinologues pédiatriques, nous devons accepter ce concept selon lequel nous sommes maintenant en mesure de diagnostiquer le diabète de type 1 non plus seulement au moment de l’hyperglycémie, mais lorsque deux auto-anticorps ou plus sont présents.” Cette nouvelle ère de la prédiction, avant l’apparition des symptômes cliniques qui doit permettre d’anticiper les traitements et la prise en charge, présente un corollaire incontournable qui fait son chemin et soulève son lot de questions : le dépistage.
Et l’actuelle présidente de l’EASD (European Association for the Study of Diabetes pour Association Européenne pour la recherche sur le diabète) est claire quant au rôle que doit tenir le dépistage, précisant que grâce à lui, il est désormais possible de “vraiment changer le cours de la maladie par l'éducation et le suivi de ces personnes, et d’empêcher qu'elles ne développent une acidocétose diabétique au moment du stade 3, c’est-à-dire au diagnostic clinique du diabète de type 1”. Voilà ce qui explique le lancement dans le monde entier, d’initiatives de dépistage de la présence de ces anticorps dans le sang des parents au premier degré de personnes atteintes de diabète de type 1, mais aussi des enfants et des adolescents dans la population générale. Insistant sur leur importance, Chantal Mathieu précise que “le moment est venu d'organiser nos systèmes de soins de santé pour que dépistage et suivi des personnes dépistées aient lieu”.
Score de risque génétique : la valeur sûre d’un dépistage du diabète de type 1 ?
Mais le choix des personnes à dépister et les modes opératoires varient selon les régions du globe du seul fait du caractère très hétérogène de la maladie, qui la rend difficile à prédire. Malgré cela, différentes sessions du congrès ont contribué à apporter des éléments de réflexions pour améliorer le dépistage, en abordant la notion de score de risque génétique. Celui-ci se définit comme un outil qui évalue la prédisposition à cette maladie en analysant des variantes génétiques clés, pour estimer le risque de son développement.
Pour le professeur Richard Oram de l’Université d’Exeter au Royaume-Uni, le score de risque génétique est important dans le diabète de type 1, car “il permet d'identifier les risques de développer la maladie et peut être ainsi appliqué au dépistage”. Richard Oram précise d’ailleurs que “le risque génétique fonctionne plutôt bien chez les personnes positives aux auto-anticorps”, preuve de la qualité de cet indicateur. C’est ce qu’ont pu montrer différentes études menées en Inde ou en Afrique où la discrimination des cas classiques du diabète de type 1 s’est faite efficacement, tout en montrant des limites pour des cas atypiques.
D’une manière générale, les scores polygéniques sont efficaces pour différencier les patients diabétiques de type 1 des autres populations avec une grande précision. Le score de risque génétique qui agrège plusieurs informations génétiques clés, permet une classification par niveau de risque : faible, moyen ou élevé. Mais le chercheur britannique le concède : “Capturer le risque génétique du diabète de type 1 ne suffit pas.” L’une des principales limites réside justement dans les variations génétiques entre populations : les scores doivent donc être ajustés pour tenir compte des dimensions ancestrale et géographique.
Le professeur Oram termine toutefois sur une note optimiste quant à l’amélioration possible des modèles de prédiction du diabète de type 1. Pour lui, “l’intégration de ces scores dans les grandes bases de données génétiques en plein essor, comme les programmes de séquençage des nouveau-nés, offrira, en les combinant à d’autres biomarqueurs, une prédiction plus précise, ouvrant ainsi la voie à une personnalisation optimisée des soins”.
➜ À lire aussi : Dépistage du diabète de type 1 : les sociétés savantes s’y engagent
De son côté, la chercheuse italienne en médecine translationnelle et de précision de l’Université de Sienne, Erika Pedace, a partagé ses travaux sur le rôle joué par les microARN, de petites molécules qui régulent l'expression des gènes. Son objectif étant de réussir à déterminer s’ils pouvaient être des indicateurs pertinents de la progression vers le stade 3 du diabète de type 1, soit son diagnostic clinique. Pour Erika Pedace, “les anticorps seuls sont de bons prédicteurs, mais ils ne fournissent pas d’information précise sur le moment d’apparition de la maladie. Les microARN combinés pourraient combler cette lacune.”
Le projet de doctorat d’Erika Pedace l’a amené à comparer la présence de ces microARN sur les échantillons provenant de personnes non affectées par le diabète de type 1. Ces personnes porteuses d’auto-anticorps et avec des antécédents familiaux de la maladie se sont vues divisées en deux groupes : d’une part ceux qui ont progressé vers le diagnostic clinique et d’autre part ceux qui n’ont pas connu cette trajectoire. Ce sont 19 microARN qui ont été identifiés comme exprimés de manière différente dans les deux groupes, dont quatre ont été validés comme étant significativement plus exprimés chez les personnes finalement diagnostiquées.
Cela vient donc s’ajouter aux progrès en cours dans l’affinage et l’amélioration du dépistage pour réussir à prédire, avec une plus grande précision, qui sera diagnostiqué et quand. Mais des outils complémentaires basés sur l’Intelligence Artificielle (IA) et les mathématiques participent à cet effort d’amélioration.
Intelligence Artificielle et modèle mathématique pour une meilleure prédiction et une mise en œuvre optimisée du dépistage
Le professeur Fabian Theis, Chef du Centre de Santé Informatique et directeur de l'Institut de Biologie Informatique au Helmholtz Center de Munich, est intervenu pour partager sa vision du potentiel de l’Intelligence Artificielle au service de la recherche. Il met en avant l’importance de s’appuyer sur les machines tant pour leurs capacités d’analyse de données à grande échelle que pour leur aptitude à l’apprentissage automatisé. “L’IA générative crée des modèles qui permettent d’extraire des possibilités à partir de données complexes.”
Prenant l’exemple de l’étude de l’individualité des cellules avec une approche dite “omique”, c’est-à-dire mêlant les outils et technologies de chimie, de biologie et de science des données, il veut éclairer sur le diabète et sa prédiction. Grâce à l’IA, les trajectoires de vie des cellules, leurs évolutions, mais aussi leurs interactions sont mieux comprises, car analysées. Passant par l’élaboration de modèles virtuels, l’IA va pouvoir accélérer la recherche en simulant des réponses biologiques et ainsi prédire l’évolution de la maladie. Pour Theis, “dans dix ans, un assistant IA pourra suggérer à un chercheur quelles expériences il faut essayer ensuite : un véritable copilote pour la recherche.”
Le chercheur de l’Université de Genève, Lauric Ferrat propose quant à lui d’envisager le dépistage du diabète de type 1 au travers d’une combinaison impliquant l’IA et les mathématiques, pour des stratégies plus précises et économiquement viables. Pour le mathématicien, s’appuyer sur le score de risque génétique et la présence des auto-anticorps est l’alliance la plus efficace pour prédire le développement de la maladie. “Le premier est stable tout au long de la vie, tandis que les seconds sont spécifiques et dynamiques. Ensemble, ils forment un duo magique.” Lorsqu’elles sont intégrées à des modèles mathématiques, ces deux variables permettent de diviser par deux le nombre de tests nécessaires tout en garantissant un haut niveau de détection des personnes touchées.
De la même manière, les modèles mathématiques devraient minimiser les coûts de dépistage tout en maximisant ses bénéfices. Ce qui est recherché, c'est “l’optimisation qui consiste à faire plus avec moins”. Pour illustrer sa démonstration, Lauric Ferrat prend l’exemple d’un test pédiatrique effectué à des âges clés, comme 2 et 6 ans, qui se révèlent particulièrement pertinents pour établir un diagnostic. Il suggère également de concentrer les efforts sur les enfants avec un des scores de risque génétique élevés pour ainsi réduire significativement les coûts du dépistage. Ses microsimulations, permettant de déterminer les meilleures stratégies de dépistage, ont démontré qu’une approche ciblée peut réduire les complications graves, comme l’acidocétose, de 40 %, tout en évitant un dépistage systématique de la population.
Si le champ des possibles semble plus ouvert que jamais pour le dépistage du diabète de type 1, les questions sont encore nombreuses pour permettre sa généralisation efficace. Baisse du taux d’acidocétose au diagnostic, prise en compte de l’anxiété et de la charge psychologique, mais aussi des inégalités sociales et enfin considération de la viabilité économique pour les systèmes de santé : autant de sujets qui jalonnent le tracé d’une démarche aussi logique et vertueuse qu’elle est pour l’instant éloignée d’une prévention au sens propre et d’une cure.
Cet article fait partie d’une série de trois sur le congrès de l’Immunology of Diabetes Society. Afin de rendre ces articles en libre accès, cette couverture spéciale est financée par l’IDS, mais Glucose toujours conserve pleinement son indépendance éditoriale.