Glucose toujours, le média qui en dit long sur le diabète

Pourquoi, moi, diabétique, j'ai développé des TCA ?

Le texte qui suit a été prononcé lors d'une journée spéciale, samedi 18 mars, consacrée au duo d'enfer : troubles des conduites alimentaires et diabète de type 1, au sein de l'hôpital-fondation Rothschild, à Paris, et organisée par 4 associations, Affects et Aliments, Ose, Diabète et méchant, Déesses sucrées. Je vous livre ici, en accès libre, mon témoignage en tant que diabétique de type 1 et sujette à des troubles des conduites alimentaires. Il est intervenu en début de journée. Il se trouve que je n'ai pas réussi à le lire en entier à voix haute, ce jour-là, prise par l'émotion. Bonne lecture.

Pourquoi, moi, diabétique, j'ai développé des TCA ?
Glucose toujours.
  • Je m’appelle Ana Waalder, je suis diabétique de type 1 depuis que j’ai 3 ans. J’ai donc 39 ans de diabète. J’en vois certains en train de faire le calcul, merci de garder le résultat pour vous ! Je suis membre du bureau de l’association Diabète et méchant, qui est engagée sur cette problématique des Troubles des conduites alimentaires, notamment grâce à l’action de Juliette de Salle. Diabète et méchant est un repaire de diabétiques rebelles, qui envisagent cette pathologie d’un point de vue politique et économique, et qui a participé, par exemple, à la campagne visant à faire baisser les prix de l’insuline aux Etats-Unis et dans le monde, campagne qui s’avère fructueuse avec les annonces récentes de Novo Nordisk, Sanofi et Lilly. Voilà, c’est ça créer une dynamique nouvelle dans le monde du diabète, c’est encourager l’accès à l'insuline aux 50% de diabétiques dans le monde qui n’y ont pas droit.

     

    Je suis aussi journaliste indépendante spécialisée en santé. J’ai co-scénarisé la BD “Escroqueuse - quand l’hypo frappe”, aux éditions Delcourt, avec mon mari, Mikhaël Allouche. Cet autre duo d’enfer nous a permis d’avoir un double regard sur le diabète, celui du patient et celui du conjoint qui vit aussi avec, au quotidien. Il nous a aussi porté vers une enquête sur le monde du diabète, avec 3 ans d’investigation autour des pratiques des laboratoires, des associations de patients, des sociétés savantes et de l’assurance maladie.

     

    Dans cette BD, nous y relatons aussi mes premières années de vie avec le diabète et l’apparition à l’âge de 8 ans de troubles des conduites alimentaires. J’aimerais vous faire part d’une réflexion qui m’est advenue voici quelques jours seulement, quand j’étais en train de me demander ce que j’allais bien pouvoir vous raconter, pour ne pas vous endormir ce matin ! 

     

    Voici quelques jours, donc, je me disais ceci : n’aurais-je pas développé des TCA dans le but inconscient d’envoyer un message agressif à mon corps blessé ? Oui, mon corps blessé, comme le décrit le philosophe Philippe Barrier, qui nous a fait l’honneur de sa présence, avec une autre grande philosophe du diabète, Aude Bandini. Envoyer un message agressif à mon corps blessé et détesté pour cette blessure, qui, de blessure physique, s’est transfigurée en blessure narcissique, comme l’explique si bien la Docteure Claude Colas. Un corps détesté parce qu’il ne convient plus à la proposition de départ, détesté parce qu’il n’est plus regardé par mes parents comme une potentielle réalisation d’eux-mêmes, mais comme une blessure pour eux aussi, qui se rouvre à chaque nouvel épisode hypo ou hyperglycémique. Un corps détesté aussi parce qu’il ne se suffit plus à lui-même, comme l’a si habilement décrit la psychologue Brigitte Ballandras. Un corps duquel j’ai voulu m’extraire tant de fois. Enfin, un corps détesté qui ne parvient pas à susciter chez moi de l’amour et de l’empathie. Un corps que je ne suis pas en capacité d’aimer et de consoler de la blessure qu’il endure. Sans cette consolation, sans cet amour-propre, mon corps est devenu l’ennemi, celui qu’il faut faire expier de ses péchés. Il mérite punition, il faut qu’il souffre. Je lui impose donc des compulsions alimentaires.

     

    N’aurais-je pas développé des TCA dans le but inconscient d’envoyer un message agressif à mon corps blessé ?

     

    Quel meilleur châtiment que de lui dicter une punition à chaque prise alimentaire, plusieurs fois par jour, en plus des trois repas préconisés et en plus de l’injection d’insuline ? Et quel meilleur choix que de me faire croire que ces compulsions alimentaires pourraient calmer quelques minutes cette petite voix intérieure, cette charge mentale comme on l’appelle aujourd’hui, alors que les compulsions ne font que grossir cette voix ? 

     

    Si un jour, je parvenais à saisir mon corps dans toute sa fragilité, qui nous est commune, mes chers diabétiques, si je parvenais à lui dire que je suis désolée pour lui, que je m’excuse pour ce mal que je lui ai fait, qu’à partir d’aujourd’hui, je m’engage à lui apporter amour et consolation, alors peut-être que je toucherai doucement du doigt cette hypothèse de rétablissement. 

     

    Voilà pourquoi je participe à cette journée, pour que cette proposition affleure aussi chez vous, amis diabétiques, et chez vos patients, amis soignants.

     

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